Découvrez l’article de Gérard Lejeune, Trésorier de l’Institut IDEAS pour le dossier “Mécénat” de JurisAssociations n°704

"Les risques du rescrit fiscal Mécénat"

Dans un contexte de raréfaction des ressources publiques en direction des associations, nombre d’entre elles se tournent vers la générosité des donateurs et des mécènes pour assurer le financement de leurs activités. Certes, toutes les associations peuvent recevoir des dons, mais seules certaines d’entre elles peuvent émettre des reçus fiscaux au bénéfice des donateurs. Précisions.

Pour être en mesure d’émettre des reçus fiscaux, les associations concernées doivent être d’intérêt général. Même s’il est très abusif de présenter le rescrit délivré par l’administration fiscale comme une reconnaissance d’intérêt général, c’est pourtant la démarche que suivent
de nombreux organismes pour s’assurer, auprès de cette même administration, qu’ils répondent aux critères permettant aux dons qu’ils reçoivent d’ouvrir justement droit à l’avantage fiscal.

Qu’est-ce qui constitue l’intérêt général ?
L’utilité publique est un concept central du droit administratif français, de même que la notion d’intérêt général, mais aucun des deux ne se trouve défini en droit français – contrairement à la notion de subvention. Pour pouvoir délivrer des reçus fiscaux, l’organisme bénéficiaire de dons doit être « d’intérêt général au sens fiscal ». Cela signifie qu’il doit répondre à plusieurs conditions posées par le code général des impôts (CGI) aux articles 200 et 238 bis. Ainsi, il doit avoir une gestion désintéressée, ne pas agir au profit d’un cercle restreint et avoir une activité non lucrative. L’article 200 du CGI liste 12 domaines d’activité assez larges (philanthropique, éducatif, scientifique, social,
humanitaire, sportif, familial, culturel, concourant à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel, à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises) pouvant être considérés comme d’intérêt général.

Qui émet des reçus fiscaux ?
Les articles 200 et 238 bis du CGI disposent
que les dons ouvrent droit :

  • à réduction d’impôt sur le revenu (IR) à hauteur de 66 % du montant du don (somme prise dans la limite de 20 % du revenu imposable) pour les particuliers ;
  • à réduction d’impôt sur les sociétés (IS) à hauteur de 60 % du montant du don (jusqu’à 2 millions d’euros de versements, puis 40 % au-delà) pour les entreprises.

Notre régime d’encouragement fiscal à la générosité, introduit par la loi Aillagon de 2003, est un des plus favorables au monde – avec l’Allemagne. Notons que Le Mouvement associatif demande que cette réduction d’impôt soit remplacée par un crédit d’impôt : en effet, en l’état actuel des choses, les donateurs non imposables ne
bénéficient d’aucun avantage fiscal. Depuis 2010, la Direction générale des Finances publiques (DGFiP) reçoit environ 6 000 demandes par an de rescrit « mécénat » et donne une réponse favorable dans 70 % des cas. Mais aucune statistique disponible ne recense pour le moment le nombre d’associations qui émettent des reçus fiscaux. Néanmoins, cela devrait changer car la loi dite « Séparatisme » a introduit une nouvelle obligation à la charge des organismes bénéficiaires des dons, qui doivent désormais transmettre une déclaration annuelle obligatoire des dons reçus. Sont concernés tous les organismes qui délivrent des reçus fiscaux dans le cadre des articles 200, 238 bis et 978 du CGI, à l’exception des associations de financement électorales, des mandataires électoraux et des syndicats de salariés (loi 1884 ou 1901).
La déclaration contient :

  • le montant global des dons et versements mentionnés sur les justificatifs et perçus au cours de l’année précédente ou du dernier exercice clos s’il ne coïncide pas avec l’année civile ;
  • le nombre de documents délivrés au cours de cette période

Dans le dossier « Les chiffres clés de la vie associative 2023 », l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) recense 1,3 million d’associations actives, dont 25 % relèvent du domaine du sport, 20 % de la culture et des spectacles et 19 % des loisirs. Enfin, 10 % relèvent de l’action sociale, humanitaire et caritative, de
l’hébergement social, du médico-social et de la santé et 15% agissent pour la défense de causes, de droits ou d’intérêts. Ainsi, plusieurs centaines de milliers d’associations pourraient se considérer comme étant d’intérêt général, alors que la DGFiP n’a délivré que quelques dizaines de milliers de rescrits « mécénat ».

Est-il nécessaire de faire un rescrit fiscal ?
La procédure de rescrit fiscal mise en place par la loi Aillagon permet à tout organisme de demander à l’administration si les dons reçus ouvrent droit aux réductions d’impôt, mais n’est absolument pas obligatoire. Dans de nombreux cas, les organismes estiment eux-mêmes s’ils relèvent des dispositions législatives ouvrant droit à la déduction fiscale et peuvent donc bénéficier des incitations fiscales, sans prouver qu’ils respectent les conditions prévues par la loi. La plupart des conseils recommandent aujourd’hui de ne pas faire cette démarche de rescrit fiscal et de considérer remplir les critères d’intérêt général au sens des articles 200 et 238 bis du CGI. Ainsi, l’organisme devra construire son propre dossier de démonstration de son caractère d’intérêt général.

Le droit à l’erreur de l’administration fiscale.
Les décisions de rescrit « mécénat » se font dans le cadre de l’organisation déconcentrée de l’administration fiscale. Les observateurs ont pu noter des décisions contradictoires pour des cas similaires. De plus, devant l’importance du coût de plusieurs milliards d’euros pour les finances publiques lié aux dispositifs de réductions d’impôt pour les dons et le mécénat, il semblerait que l’administration fiscale ait décidé de revoir des décisions antérieures positives en faisant valoir son droit à l’erreur. Ainsi, par exemple, l’administration est revenue en janvier dernier sur une erreur d’appréciation commise il y a 19 ans : l’association, qui avait obtenu une réponse positive au rescrit « mécénat » en 2005, ne peut désormais plus émettre de reçus fiscaux. Voici un extrait du courrier reçu faisant état de cette nouvelle décision : « […] Afin de garantir la sécurité juridique des organismes recevant des dons, l’article L. 80 C du livre des procédures fiscales (LPF) leur ouvre la possibilité de s’assurer auprès de l’administration fiscale qu’ils répondent aux critères définis aux articles 200 et 238 bis du code général des impôts (CGI) régissant les avantages fiscaux en matière de dons et de mécénat. Par réponse du XX/XX/2005, après examen de votre dossier, l’association a été reconnue comme organisme d’intérêt général, dont la gestion est désintéressée, lui permettant d’être habilitée à recevoir des dons et délivrer des reçus fiscaux. L’administration peut être amenée à mettre fin pour l’avenir à cette garantie lorsqu’elle doit revenir sur sa décision expresse favorable en raison d’une erreur d’appréciation de la situation de fait. »
Il existe donc une situation d’insécurité fiscale pour les associations, même pour celles qui ont fait la démarche du rescrit fiscal. Certes, le coût pour les finances publiques est significatif, mais l’investissement dans la vitalité associative, qui est le ciment de la vitalité démocratique de notre société, a un prix qu’il faut accepter pour contrer l’individualisme grandissant.

Gérard Lejeune,

Expert-comptable et commissaire aux comptes

Trésorier de l’Institut IDEAS

Article paru dans le dossier “Mécénat – Qui ne risque rien…” du JurisAssociations n°704 de septembre 2024.

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