Découvrez l’article de Gérard Lejeune, Trésorier de l’Institut IDEAS et Paul Prud’homme, Président du Comité Expert IDEAS pour le dossier “Impact social VS Utilité sociale : une question de valeur” de JurisAssociations n°691

"Le droit comptable des associations permet-il

d’appréhender leur utilité sociale ?"

Le droit comptable des associations ne s’est construit que par adaptation des mécanismes comptables généraux issus des modèles comptables patrimoniaux du monde des entreprises lucratives. Explications.

En dépit de quelques progrès, le nouveau règlement comptable ANC n°2018-06 applicable aux associations ne fait pas preuve de grandes innovations. Il présente même des régressions par rapport à son prédécesseur, le règlement CRC n°99-01, qui avait su, sur certains points par exemple, s’agissant des subventions d’investissement, déroger aux principes du plan comptable général (PCG). Notons que le règlement ANC n°2018-06 modifié ne concerne que les associations tenues à l’établissement de comptes annuels, soit moins de 10 % des associations.
La qualité des comptes des associations préoccupe le législateur. Depuis près de 40 ans, des lois imposent progressivement des règles comptables aux associations avec l’obligation de faire contrôler et certifier leurs comptes. Le processus a commencé en 1984 avec la loi Badinter pour les grandes associations ayant une activité économique et percevant des concours publics, principalement les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). Puis, la loi Sapin du 29 janvier 1993 institua l’obligation d’un commissaire aux comptes pour les associations recevant plus de 153 000 euros de subventions publiques. La première grande obligation de réglementation comptable vient donc de l’utilisation de fonds publics. En France, les financements publics constituent une source majeure de financement des associations ; c’est une particularité française résultant de la place et du rôle de l’État dans notre pays. Les financements publics tiennent une place différente selon la taille des associations : ils sont quasiment inexistants dans les toutes petites associations tandis qu’ils représentent plus de 60 % du financement des associations employeurs.
Mais les pouvoirs publics ont souhaité progressivement réorienter les ressources des associations, du fait également de la crise des finances publiques, vers la générosité publique en libérant cette dernière, avec la loi Aillagon du 1er août 2003. Une nouvelle obligation d’application obligatoire du plan comptable associatif (PCA) et de contrôle par un commissaire aux comptes en a été la conséquence pour les associations qui reçoivent plus de 153 000 euros de dons tant des particuliers que des entreprises, pouvant donner lieu à l’émission de reçus fiscaux.
En somme, le PCA est un outil commun pour rendre compte aux membres, aux financeurs et aux autres parties prenantes (salariés, donateurs, etc.) de l’utilisation des
fonds. Toutefois, il ne permet pas de mesurer l’utilité sociale au service de l’intérêt général.

Le droit comptable, la transparence financière et la mesure de l’utilité sociale

Les membres d’une association et les citoyens sont-ils correctement informés de la réalité de l’utilité sociale des activités par les comptes des associations ainsi que des
ressources publiques qu’elles mobilisent ? L’accès public à cette information financière doit encore évoluer. Les obligations comptables et de transparence financière ont certes progressé, mais l’accès à l’information par les citoyens de l’utilisation des fonds publics par les associations n’est pas toujours possible. La loi Zuccarelli du 12 avril 2000 a pourtant rendu obligatoire la publication des comptes au Journal officiel pour les associations recevant plus de 153 000 euros de subventions publiques. Bien entendu, les associations de grande taille qui font appel à la générosité du public diffusent dans leurs bulletins d’information et par voie électronique une information financière synthétique. Mais les associations qui disposent de concours publics importants, sans subventions, comme les ESSMS, bien qu’ayant obligatoirement un commissaire aux comptes, si ces entités dépassent deux des trois seuils prévus à l’article L. 612-1 du code de commerce, n’ont pas l’obligation de publier leurs comptes sur le site des Journaux officiels.
La publication du décret Lamour du 17 juillet 2006 va dans le sens d’une transparence relative à la publication par voie électronique des subventions versées aux associations et aux fondations reconnues d’utilité publique (ARUP et FRUP). Ce texte dispose que, à l’exception des aides attribuées en application d’une loi ou d’un règlement (appelées « concours publics »), toute subvention versée sous forme monétaire ou consentie sous la forme d’un prêt, d’une garantie ou d’un avantage en nature à une association de droit français ou à une FRUP fait l’objet, de la part de la personne morale de droit public l’ayant attribuée, d’une publication sous forme de liste annuelle comprenant les nom et adresse statutaire de l’organisme bénéficiaire ainsi que le montant et la nature de l’avantage accordé. À l’exception des communes de moins de 3 500 habitants, cette liste doit être rendue accessible au public à titre gratuit sur un site d’information relié au réseau Internet ou sur tout autre support numérique. Il suffit de regarder les sites Internet des communes pour constater que nombre d’entre elles n’appliquent pas cette disposition.

Face à l’immense diversité du secteur associatif, le législateur recommande le plan comptable associatif pour toutes les associations et ne le rend obligatoire que pour
les plus importantes. Mais ce processus de normalisation comptable s’inscrit dans le cadre orienté à l’international par les normes comptables financières (IAS-IFRS12). S’agissant des associations, les représentations sociales de leur comptabilité divisent autant celles-ci que l’opinion publique. Certes, le plan comptable associatif consacre la reconnaissance de la spécificité des associations en permettant la comptabilisation de certains mécanismes propres au secteur associatif :
– les fonds propres (avec ou sans droit de
reprise) ;
– le compte d’emploi annuel des ressources collectées auprès du public (CER), complété par le compte de résultat par origine et destination (CROD) pour les associations qui font appel à la générosité du public pour plus de 153 000 euros, permettant un suivi particulier de ces ressources ;
– le traitement des legs et des donations
temporaires d’usufruit ;
– les subventions et concours publics ;
– les fonds dédiés et reportés ;
– la valorisation du bénévolat et des avantages en nature ;
– les frais engagés par les bénévoles.
Disposer d’un cadre comptable commun, c’est en quelque sorte parler le même langage pour, dans une démarche de transparence financière, rendre compte à l’ensemble des parties prenantes de l’association de l’utilisation des ressources.
Notons enfin l’importance du bénévolat associatif, qui doit être apprécié dans le cadre de la comptabilisation des contributions volontaires en nature (CVN) qui, avec le nouveau plan comptable associatif, devient la méthode préférentielle.

Quels seraient les indicateurs à développer pour améliorer la mesure de l’utilité sociale ?

Le législateur comptable a progressivement enrichi l’information comptable dans les associations. L’objectif assigné est de permettre aux lecteurs de ces comptes de
mieux appréhender notamment l’activité sociale de l’entité. Mais qu’en est-il de l’utilité sociale, ou de l’utilité sociétale ?
Le référentiel comptable applicable au secteur non marchand n’a pas vraiment vocation, actuellement, à apporter une information sur l’utilité sociale. Même si
certaines données figurant dans l’annexe peuvent donner une certaine indication, cela reste bien insuffisant. Ainsi, le CER, pour les entités faisant appel à la générosité du public, indique l’utilisation des ressources provenant de cette générosité, c’est-à-dire la part de ces ressources effectivement affectée aux « missions sociales ». Certains s’appuieront sur la proportion des frais de collecte dans les ressources issues de la générosité pour apprécier une association ou une fondation. Soyons prudents avec cet indicateur ! En effet, une jeune association pourra être amenée à engager des frais de collecte importants au regard de ses ressources. Néanmoins, il faut convenir que nombre de bailleurs de fonds sont sensibles à ce ratio.
Reconnaissons que ces informations quantitatives ne sont pas suffisantes pour apprécier l’utilité ou l’efficacité des actions. La part affectée aux missions sociales est-elle utilisée de manière efficiente ? Les actions réalisées sont- elles vraiment utiles ? L’annexe est un complément indispensable à l’information financière issue du bilan et du compte de résultat (voir encadré). Pour autant, le règlement ANC n°2018-06 n’impose pas d’indicateurs permettant d’apprécier l’utilité sociale. Mais est-ce vraiment sa vocation ? Par ailleurs, chaque organisme est unique. L’utilité sociale peut-elle être mesurée par des indicateurs « standard » ? Cela semble bien difficile.
Prenons l’exemple d’un organisme d’insertion. Les bailleurs de fonds imposent des critères de mesure à court terme avec un financement au poste d’insertion. Se préoccupe-t-on du succès de l’accompagnement ? Se préoccupe-t-on de la part du « décrochage social », c’est-à-dire la part de rechutes à moyen terme après la fin de l’accompagnement ? Non ! Voilà une illustration de l’utilité sociale : un impact social, mais mesuré dans la durée.
Cela implique la mise en place d’indicateurs spécifiques, adaptés aux missions sociales de l’organisme. Il convient que ces indicateurs soient coconstruits par les organismes, les financeurs et les bénéficiaires, adaptés à chaque secteur associatif et constituant le bilan sociétal, au sens des conséquences sur la société, de l’organisation. Ces indicateurs doivent-ils être quantitatifs ou qualitatifs, voire les deux ? Indéniablement, une information purement quantitative est insuffisante. D’ailleurs, comme nous l’avons déjà souligné, l’information narrative de l’annexe s’est considérablement enrichie, notamment avec le règlement comptable ANC n°2018-06. Le développement de l’information qualitative correspond bien à un besoin et à une impérieuse nécessité de transparence dans l’information financière. Alors, faut-il rendre obligatoire cette démarche de mesure de l’utilité sociale dans l’annexe « comptable » ? Celle-ci rendrait l’information présente juste, pertinente, adaptée et suffisante, les commissaires aux comptes étant en outre de plus en plus appelés à analyser des informations extra-financières. C’est donc tout à fait réaliste.
Enfin, il est nécessaire de « mixer » la mesure de l’utilité sociale avec la dimension de « durabilité ». Cette notion de durabilité traduit la soutenabilité économique, sociale, territoriale et de gouvernance, à l’instar de la méthode IDEA4. Faut-il préciser que l’économie sociale et solidaire (ESS) est pionnière en matière de responsabilité sociétale des organisations (RSO) ? À titre d’exemple, le guide des bonnes pratiques de l’Institut IDEAS intègre une part importante de cet aspect.

Conclusion

Les informations comptables (quantitatives et qualitatives) disponibles dans les états financiers des organisations de l’ESS ne permettent pas suffisamment d’apprécier l’utilité sociale de leurs actions. Standardiser des indicateurs, applicables à tous, ne semble pas répondre de manière satisfaisante à cet enjeu. Il faudrait corréler investissement social et économies futures pour les financeurs et construire une comptabilité alternative. Il convient d’encourager les organisations à présenter les indicateurs adaptés à leurs actions en accord avec les bailleurs de fonds, les bénéficiaires et, plus généralement, toutes leurs parties prenantes.

L’importance de l’annexe

La réforme comptable engendrée par l’application du règlement ANC n°2018-06 a pour objectif une meilleure lisibilité des comptes et une plus grande transparence financière.
Pour ce faire, le contenu de l’annexe est adapté. Elle doit présenter de nouvelles informations sur l’objet et l’activité de l’association et une description des moyens dont elle dispose ainsi que des précisions de nature juridique et financière. Cette description qualitative libre est un progrès pour apprécier les activités sociales de l’association et les moyens publics et privés dont elle dispose.

Paul Prud’homme,

Expert-comptable, commissaire aux comptes et président du Comité Expert

Gérard Lejeune,

Expert-comptable, commissaire aux comptes et trésorier de l’Institut IDEAS

Article paru dans le dossier “Impact social vs Utilité sociale : une question de valeur” de JurisAssociations n°691 de janvier 2024.

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