Découvrez l’article de Paul Prud’homme, Président du Comité Expert de l’Institut IDEAS pour le dossier “Mécénat” de JurisAssociations n°704

"Territorialité des dons : Quels risques ?"

Le financement d’une action d’intérêt général à l’étranger peut être envisagé de manière directe ou par le biais d’une entité française ou européenne. La distinction est d’importance. Décryptage.

Une organisation sans but lucratif étrangère peut-elle collecter des ressources en France pour financer ses actions dans son pays ? Très vraisemblablement, mais cette collecte ouvre-t-elle droit au donateur français à une réduction d’impôt ? La collecte de fonds, dons ou mécénat d’entreprise, par une organisation française destinée au soutien d’une action d’intérêt général dans un autre pays pose la question de la « territorialité » de la générosité. Le sujet vise à savoir si un don versé à un organisme français ou européen pour soutenir une action en Europe ou en dehors de l’Europe ouvre droit à l’avantage fiscal. Ainsi, les questions portent sur la territorialité de l’organisme bénéficiaire du don, mais également sur la territorialité de l’action financée.

Territorialité des organismes éligibles au régime du mécénat 

Depuis 2009, l’administration fiscale admet la possibilité de l’émission d’un reçu fiscal aux dons et versements consentis au profit d’organismes étrangers établis dans un État membre de l’Union européenne (UE) ou dans un État membre de l’Espace économique européen (EEE) ayant conclu avec la France une convention fiscale comportant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale. Cette ouverture opérée par l’administration fiscale répond à la première question. Il existe néanmoins quelques conditions. En effet, « les organismes européens concernés doivent poursuivre des objectifs et présenter des caractéristiques similaires à ceux des organismes éligibles dont le siège est situé en France, tant par leur forme que par leur objet. Effectivement, il ne suffit pas qu’un organisme se prévale de la qualification d’intérêt général qui lui est reconnue par l’État dans lequel son siège est établi, il doit répondre à l’ensemble des conditions prévues pour l’application du régime français du mécénat ».

Territorialité des actions financées par le mécénat

La seconde question, qui concerne la territorialité de l’action, est plus délicate ! Il existe, en effet, plusieurs conditions. Celles-ci portent sur la nature des actions et sur la maîtrise de leur mise en place. Concernant la nature des actions menées hors de l’Union européenne, il s’agit d’actions humanitaires, d’actions concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises, d’actions en faveur de la protection de l’environnement naturel, d’actions scientifiques ou encore d’actions menées par certaines organisations internationales habilitées.

Quant au second volet sur la maîtrise des actions mises en place, les organismes doivent satisfaire à trois conditions cumulatives :

  • « ils doivent définir et maîtriser le programme à partir de la France ou de l’État membre où ils ont leur siège ;
  • ils doivent financer directement les actions entreprises ;
  • enfin, ils doivent être en mesure de justifier des dépenses qu’ils ont exposées pour remplir leur mission.

Ces deux dernières conditions supposent, en cas d’intervention directe de l’organisme, que les fonds perçus soient versés sur des comptes bancaires propres à l’organisme concerné et qu’en conséquence l’utilisation des fonds soit contrôlable à tout moment au moyen de sa propre comptabilité par l’administration fiscale française.

La simple collecte de fonds au profit d’organismes situés à l’étranger ne permet pas, à elle seule, de caractériser des opérations organisées et contrôlées à partir de la France ou de l’État membre ». Nous touchons ici le point le plus délicat de l’éligibilité des dons à l’avantage fiscal. L’organisme collecteur devra ainsi être en mesure de justifier de la maîtrise de son programme d’action en dehors de l’Europe. La simple collecte de fonds au profit d’une entité située en dehors de l’Union européenne ne lui permettra pas d’être « qualifié » sur cette condition.

L’organisme collecteur devra pouvoir, notamment, démontrer à l’administration que les dons perçus sont affectés sur des comptes dédiés aux programmes financés, qu’il existe des conventions ou documents permettant d’attester la maîtrise des programmes ou encore l’existence d’une procédure d’audit et de contrôle des actions locales et, plus généralement, de l’organisme situé sur place.

Contrôle et documents justificatifs 

Nous avons évoqué les conditions formelles que les organismes sans but lucratif (OSBL) devaient respecter concernant les dons transfrontaliers. Mais qu’en est-il de l’information du public et des donateurs ? Ces obligations de transparence laissent-elles entrevoir de nouveaux risques ? Il existe plusieurs vecteurs de communication obligatoires pour les organismes français.

Compte d’emploi des ressources collectées auprès du public (CER) et compte de résultat par origine et destination (CROD)

La réforme du plan comptable du secteur non marchand en 2018 est venue renforcer l’information sur la territorialité des actions menées par les OSBL. Nous connaissons le CER et, désormais, le CROD, qui figurent de manière obligatoire dans l’annexe des comptes sociaux des organismes faisant appel à la générosité du public. Ces états financiers indiquent l’emploi des ressources collectées suivant la localisation des actions (France ou étranger). Le risque ici est un sujet de non-conformité « comptable ». Cela peut entraîner une observation, une réserve, voire un refus de certification de la part du commissaire aux comptes en cas de non-conformité.

État des avantages et ressources provenant de l’étranger (EAR)

Une nouvelle obligation issue de la loi confortant le respect des principes de la République, dite « loi Séparatisme », s’impose aux OSBL bénéficiant de ressources ou avantages provenant de l’étranger – par suite, un nouveau règlement comptable est venu compléter le règlement comptable des associations. Cette information vise les associations, les fonds de dotation et les associations cultuelles qui dépassent certains seuils. Les fondations ne sont pas visées par cette obligation. Nous pouvons penser que cette exemption serait liée au fait que les fondations reconnues d’utilité publique (FRUP) sont « dotées » d’un représentant de l’État au sein du conseil d’administration qui permet à ce dernier d’avoir un regard sur ces ressources.

La loi Séparatisme introduit une sanction pour le non-respect de cette nouvelle obligation. Il s’agit d’une amende à caractère pénal de 3 750 euros, qui peut être portée jusqu’au quart de la somme des avantages et ressources non inscrite dans les comptes. À noter que les associations cultuelles bénéficiaires de tels avantages ont l’obligation de réaliser une déclaration auprès du ministère. Il convient, enfin, de relever que, s’agissant d’une infraction pénale, le commissaire aux comptes sera dans l’obligation d’en tirer les conséquences en matière de révélation de faits délictueux.

Paul Prud’homme,

Expert comptable et commissaire aux comptes Premium Audit,

Président du Comité Expert de l’Institut IDEAS

Article paru dans le dossier “Mécénat – Qui ne risque rien…” du JurisAssociations n°704 de septembre 2024.

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